douze poèmes

Quand

Quand les corps se laisseront
Glisser vers l’obscur abîme
Quand les âmes atteindront
Les sommets fragilissimes

Quand les corps épancheront
Les insoutenables larmes
Quand les âmes s’ouvriront
Et déposeront les armes

Quand les corps avaleront
Les silences et les songes
Quand les âmes sœurs fuiront
L’indicible qui les ronge

Quand les corps abjureront
Leurs ombres sans états d’âme
Quand les âmes hisseront
Sur les corps une oriflamme

Quand les corps s’élanceront
Vers les sphères funéraires
Quand les âmes rejoindront
Les terres imaginaires

Quand les corps s’éclipseront
Devant l’astre flamboyant
Quand les âmes séduiront
Tous les cœurs des incroyants

Quand les corps se moqueront
Des déesses et des dieux
Quand les âmes gagneront
La partie d’échecs, pardieu !

Quand les corps déposeront
Les doléances dans l’urne
Quand les âmes graveront
Une épigramme en nocturne

{Quand : poème en heptasyllabes publié sur ma page fb Bernard B, en hommage aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, à Paris}

Visage universel

Œil du cycle à l’aune de son rayonnement
Pupille absorbant toute matière à réflexion
Regard perçant à contre-jour 
Sourcils soucieux, cils ombrageux, paupières si lourdes
à porter la face cachée du monde
Expression translucide sur cliché d’impression
Forme carrée arrondissant les angles
Teint lumineux par intermittence
Nez rectiligne à l’infini
Front fuyant le passé
Tempes battantes à contretemps
Cheveux frisant l’insolence
Bouche au rire passé sous silence
Oreilles grandes d’attention
Menton avancé sur son temps

Transition Towns

Qu’éclose la résilience
Et loin de toute panique
Qu’arrive avec pertinence
La descente énergétique

Un groupe local s’éveille ?
Ah ! la belle initiative
D’un mouvement sans oseille
En démarche créative

Et une monnaie locale ?
Un jardin communautaire ?
L’idée est-elle bancale ?
En suis-je destinataire ?

La permaculture croît
Ce n’est pas du provisoire !
L’autopartage j’y crois
C’est loin d’être dérisoire!

Une ville en transition
Pour recycler nos pensées
Créations, Ô créations
A jamais recommencées !

{transition towns a été publié, en 2016, dans la revue du Conseil de développement de Loire-Atlantique, à l’occasion de la participation à  un groupe de réflexion prospective , atelier-passerelle : « L’autosubsistance »}

Entre rêve et réalité

Un interstice où se glissent
Un peu de l’un un peu de l’autre

Une lézarde entre deux murs porteurs
Si profonde


Une frontière
Entre deux états d’âme


Un trou noir
Une zone de non-retour

Un lien indestructible
Un fil à soi


Un espace à contretemps
Entre lenteur et hâte

Entre rêve et réalité

Une rivalité à contresens
Une rêvalité

 

Et de nos corps dispersés

et tant de fois nos corps exhibés

à nos caresses éperdues

se sont enlacés

puis éloignés

d’un monde terrestre pourtant si proche

et tant de fois nos corps noyés

dans le flux

et le reflux

puis soulevés

par les vagues charnelles

et tant de fois nos corps figés

sur nos souffles mouillés

magie éphémère

rosée saline

sur nos lèvres parfumées

et tant de fois nos corps épuisés

se sont reposés

puis dans nos rêves

puis dans nos rêves

se sont dispersés

 

Une machine de caractère

œuvre d’écriture de sculpture de fabrication

de création au pied de la lettre

tant de litres d’encre se sont écoulées

tant de ratures de rognures de raclures

se sont accumulées

tant de débris de mots contre lesquels

elle a dû se protéger

assouvissant assouvissement assouvit la machine

murmure des plaintes mécaniques apaisées

en vis-à-vis du commun du banal de l’ordinaire

n’est-elle pas la fille

de cet unique savoir-faire ingénieux

qui estompe la maladresse profane

que de dévouement au culte des belles lettres 

et comment ne pas succomber à sa griffe

au charme de son empreinte

gravée feuille à feuille

quel cachet 

et comment ne pas faillir quand elle exhale

ce bouquet divin d’encre orientale 

et comment ne pas perdre ses esprits 

à s’enivrer de la sorte 

de ses arômes de caractère 

ce fut le coup de foudre un éclair de jouissance

voilà tout ce dont je me souviens

 

Débaloire

Oh si loin du discours fleuve !
Les gens ont pris la parole
Afin que les idées neuves
Irriguent la métropole

Les citoyens au travail
Ont bien réglé la voilure
En quête d’une trouvaille
À deux ou trois encablures

Le vent n’a jamais faibli
Et point n’a failli l’écoute
Certains ont tant ri et ri !
Tout en tenant bien la route

Grâce à tous les bateliers
La parole a circulé
D’atelier en atelier
Puis le temps s’est écoulé

Ils ont bien tenu la barre
Piloté le débaloire
Puis ont largué les amarres
Sur les rives de la Loire

{Débaloire a été publié, en mai 2015,  sur la page fb Nantes la Loire et nous, lors d’un débat métropolitain, à Nantes}

Migration

Ils migraient au gré du vent
maugréant bon gré mal gré
contre vents et marées
Migrants pour devenir grands
et atteindre les rives
de leurs rêves
Migrants mi fugue mi raison
et l’horizon à perte de vue

À feu doux

Laissons frémir la révolution à feu doux
pour organiser l’économie autrement
pour organiser la démocratie autrement

Mais ne posons pas le couvercle de l’abstention
sur la révolte des casseroles

Laissons frémir nos utopies libertaires
nos rêves égalitaires
Mais n’oublions pas d’ajouter le sel de la fraternité

Quelle que soit la recette républicaine
annihilons le mauvais goût de l’intolérance
ainsi que les mauvaises odeurs de l’ostracisme

Laissons frémir la révolution à feu doux
pour organiser la vie autrement

Mine de rien
Croyons à nos crayons
Mine de rien
Nos desseins éclairés
auront leurs dessins
Mine de rien

Rayons de la carte de nos desseins
ces obscures croyances qui nous minent
Puis d’un seul trait
dessinons une levée de boucliers
D’un seul trait

{Mine de rien a été publié sur ma page fb Bernard B, suite à l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo}

 

Nuit debout 

la nuit debout
pour s’asseoir sur tous les dogmes
pour coucher des idées improbables
sur le papier bitumeux

la nuit debout
pour creuser des rêves indécents
dans les terres imaginaires
de notre liberté de conscience

la nuit debout
pour tordre le cou aux idées reçues
pour refuser de se plier aux exigences
de la finance

la nuit debout
pour nager dans les eaux profondes
de nos desseins
pour dessiner les contours
d’une carte sans frontières

la nuit debout
sans jamais mettre un genou à terre

la nuit debout
pour écouter les silences

la nuit debout
pour savourer les étoiles filantes

la nuit debout
de bout en bout de la place de la République

la République des idées citoyennes

{Nuit debout a été publié le 7 mai 2016,  dans le blog Poésie debout}

 

Un récit découpé en tranches fines

dans une cour quatre enfants jouent avec un tapis / deux autres enfants à bicyclette tournent en rond /  ils roulent sur le tapis

c’est un tapis volant fait de secrets et de rêves

dans la pénombre d’une cuisine deux femmes préparent un repas / leurs visages sont hors-champ / le feu couve sous une poêle / l’une des deux femmes demande à l’autre d’arrêter le feu

des arômes familiers parfument les silences

une femme s’assied et se confie / son visage dans l’obscure intimité / ils ne sont plus à la maison / elle dit qu’elle est triste pour son fils / mais pas pour lui / l’autre / l’homme

la maison s’est habillée de l’absence de l’homme

la femme dit que l’homme travaillait tout le temps  /  mais la femme et ses trois enfants ne pouvaient rien attendre de lui / ce sont les voisins qui apportaient à manger

les perles de bonté naissent d’obscurs nuages

la femme a d’autres mots pour dire l’absence de l’homme /  indifférence / mépris / violence / jour et nuit

tant de débris de maux contre lesquels elle a dû se protéger

les enfants continuent de jouer dans la cour / le repas est bientôt prêt / la femme assise a fini de découper son récit en tranches fines

des arômes familiers parfument les silences

{ce poème-récit a été publié, le 24 mars 2016, dans la revue numérique Infusion, pour accompagner une vidéo du collectif d’anonymes syrien Abou Nadarra : https://infusionrevue.wordpress.com/category/dossiers-thematiques/special-syrie-abou-naddara/

https://infusionrevue.wordpress.com/2016/03/24/special-syrie-bernard-b-un-recit-decoupe-en-tranches-fines/

Bernard B