vous avez dit « poème en prose »?

« Le poème en prose est lié au rêve : chargé d’exprimer la rêverie visionnaire sur le présent, il a en grande partie contribué à créer le regard sur le monde moderne. Expression de la révolte contre les codes poétiques, il a permis à chaque génération de poètes depuis sa création de provoquer un déséquilibre en avant, de se maintenir sur la frontière de la perception, d’atteindre le point où le regard se fait vision. »1

Tout est dit : expression de la révolte contre les codes poétiques.

La formulation me plaît. Je m’y soumets volontiers.

Le poème en prose annonce l’abolition des privilèges d’une poésie dominante, d’une poésie conformiste.

Mais loin d’annihiler toute règle, « il ne s’agit pas de renoncer aux rythmes et aux sons. Il s’agit d’y être, d’y redevenir véritablement attentif pour créer de nouvelles musiques poétiques, inouïes, jusque-là inaudibles et jamais entendues ».2

Musique expérimentale. Au-delà de la poésie en vers ou de la poésie libre.

Au-delà de toute convention ?

Le poème en prose reste toutefois un texte. Une suite de signes linguistiques.

Un tissu (textus), une trame cousue d’un fil syntaxique et d’un fil sémantique.

Un texte cousu de fil blanc ou d’un fil arc-en-ciel.

Un texte cousu d’un fil tendu entre rêve et réalité.

Le poème en prose est un pavé mosaïque posé au milieu du champ des possibles.

Poésie expérimentale.

« Le poème en prose se veut petit, non par manque d’ambition, mais parce qu’il se veut à l’image de l’expérience poétique, moment d’intensité où l’âme se ramasse, se remet en cause, se concentre. C’est une boule d’énergie, un concentré poétique ».3

Performance.

Rien n’est impossible. Même l’improbable.

Un poème en prose sans ponctuation (ponctème) ? Pourquoi pas ?

Quand toutes les ponctuations (signes graphiques) ont quitté la phrase.

La phrase n’est plus. Car les limites ne sont plus.

Disparition.

Le poème en prose sans ponctuation devient un flux continu de lettres et de mots (hors espaces). Sans pause visible. Aucune.

Et pourtant la respiration est possible. Avec du souffle.

Et pourtant la lecture est possible.

Il suffit de ramasser les petits éclats silencieux de mots jetés par la fenêtre des idées.

Bernard B

1 Julien Roumette, Les poèmes en prose, Ellipses Edition, 2001 ; avant-propos, p. 3 ; cf. également une anthologie (1842-1914) présentée p. 127-155.

2 op. cit. p. 14-15.

3 op. cit. p. 18.