Archives mensuelles : février 2021

L’étrange disparition

«Garçon ! Un Ouest-Eclair au café sans sucre, s’il vous plaît», chanta Violette, assise à la terrasse d’un bistrot, près du château des ducs de Bretagne. «Je vois que madame a de l’humour !» répondit le garçon, également en chantant. Une brume matinale enveloppait la ville. Quand la commande arriva, Violette se mit à parcourir le journal qu’elle avait emprunté à la table voisine. Elle s’arrêta sur un fait divers qui occupait une page entière. L’étrange disparition défrayait la chronique depuis plusieurs semaines. Un vrai feuilleton relaté par une journaliste dont la plume s’attachait à brosser des détails succulents ! L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels appuyait l’équipe nantaise chargée de l’enquête. Quelle affaire ! Le musée d’arts de Nantes déplorait une perte étrange, déconcertante… Un morceau d’une oeuvre abstraite s’était détaché. Volatilisé ! Avait été effacé. Avait disparu. « Un vol mais pas vraiment un vol…», bredouilla le conservateur en chef, devant l’ampleur du désastre. Sonia Delaunay fut aussitôt contactée. «Mon serpent noir, mon serpent noir ! Et sa blanche dorsale…», fonda-t-elle sous des larmes de crocodile. «Rendez- moi mon serpent noir !» marmonna-t-elle d’une voix plaintive. Puis elle sombra dans un profond silence, à vingt mille lieux sous les mers, loin des sarcasmes. Car on allait très certainement la railler! Tout cela n’avait ni queue ni tête ! Son tableau avait perdu toute sa raison d’être! Le gros serpent noir, et sa dorsale blanche, était censé traverser la toile, de gauche à droite, et glisser comme animé par une force centrifuge, vers un paysage flouté de formes rectilignes et colorées… Aujourd’hui, c’était le cerveau de Sonia Delaunay qui était dans le flou… Les flics de l’art au début tâtonnèrent. Quelle galère! On lança un appel à témoins. Les lignes téléphoniques de la brigade de l’art abstrait, ainsi renommée pour la circonstance, furent très vite saturées. Écartant d’emblée les canulars, on s’intéressa à certains témoins… Louis Poirier, un brillant élève au Grand Lycée de Nantes, avait, depuis la fenêtre de son dortoir, aperçu l’énorme serpent glisser le long d’un tulipier de Virginie du jardin des plantes ! Aucun autre camarade de l’internat ne put le confirmer. Les flics, dare-dare, penchèrent plutôt vers l’imagination fertile d’un jeune adolescent… François Guilbaud, un ouvrier des chantiers Dubigeon, marchait le long d’un quai à la tombée de la nuit, quand soudainement il surprit l’imposant serpent, «immobile, enroulé autour d’une bitte d’amarrage» avait-il précisé. Cependant, les flics maîtrisaient l’art de la déduction: le témoin revenait d’une virée dans les bistrots de Trentemoult, il avait eu beaucoup de peine, selon les propos du concierge, à regagner sa chambre située au dernier étage d’un immeuble de la rue du Roi-Albert… Ce François aurait très probablement confondu le reptile avec une aussière! Un autre témoin oculaire, dit Jacquot de Nantes, lors d’une traversée dans la nacelle du transbordeur, affirmait avoir filmé la nage du célèbre serpent. Mais le film n’avait pu révéler qu’un montage d’images digne des collages des surréalistes. Désarçonnée, la brigade ophiologue fit appel à André Breton, auteur de «Martinique, Charmeuse de serpents». Celui-ci, examina le film. «Hum! Un cinéaste en herbe mais qui peut prédire l’avenir ? Ah, ah !». «Toutefois, point de serpent noir dans ce film, malheureusement», conclut le poète de façon manifeste. Les flics piquèrent leur fard, mécontents de s’être fait berner par ce filou de Jacquot ! Malgré quelques déconvenues, l’enquête pu avancer. On apprit en outre que la peintre Sonia Delaunay avait récemment quitté la ville. Sans prévenir. Son entourage disait que son départ était sans retour… Violette referma le journal. « Quelle étrange disparition !», songea-t-elle… Elle marchait maintenant vers la gare d’Orléans, laissant sur sa droite les deux tours Lefèvre-Utile. La brume s’était dissipée. Ce matin-là, il ne pleuvait pas sur Nantes.

Bernard B

Les aphorismes de Bernard B.

En attendant une averse d’aphorismes, les premières gouttes.

La vérité avance souvent masquée.

Georges Perec a vendu des e à la douzaine. Il ne reste plus rien sur son étal oulipien.

J’ai connu une écrivaine qui souffrait de tous les maux. A tel point qu’elle manquait de mots pour les décrire tous. 

Chaque année, Dieu passe son concours d’entrée à l’école de l’éternité. Et chaque année, il réussit brillamment les épreuves. N’est pas omniscient qui veut !

Le train-train de la vie-vie quotidienne.

Je suis si perfectible, allongé dans le clair-obscur de mes imperfections.