Présidents en colère

« La police ne peut pas tout ! », avait lancé à l’emporte-pièce le commissaire NIKS au journaliste de l’incontournable Gazette de la vie associative. Cet aveu maladroit qui rappelait celui d’un ancien premier ministre fâcha bon nombre des quelque mille deux cents présidents d’association du Pays des Trois-Pics. Une lettre ouverte, adressée aux élus et au préfet, se fit l’écho de ce mécontentement. « Nous espérons que toute la lumière sera faite au plus vite sur ces disparitions qui risquent de sonner le glas du bénévolat », concluait le collectif des présidents en colère.

Depuis déjà six longs mois on n’avait aucune nouvelle de douze figures engagées de la vie associative. Elles s’étaient littéralement évaporées. Par mesure de précaution les autorités locales avaient recommandé aux citoyens d’éviter les réunions publiques. Surtout en soirée. On redoutait un tueur en série. Mais on craignait davantage le déclenchement d’un esclandre, les crises d’une psychose collective, les soubresauts d’un tohu-bohu ! Ou bien encore la vindicte populaire. Seulement, pour punir qui ? Car l’énigme restait totale.

Clément adora ce mystère. Il disséqua chaque évènement. De manière rituelle, il découpa tous les articles de la presse locale, avant de les afficher sur un des murs de son salon. « Une exposition des bonnes œuvres disparues ! », ironisait-il.

Elle lui renvoyait sa propre histoire familiale.
L’arrière-grand-père Justin avait fondé la première association d’astronomie du Pays des Trois-Pics. En 1901. La même année naquit le grand-père. En hommage à Waldeck-Rousseau, il fut prénommé Pierre. La fibre associative coulerait ainsi dans les veines de tous les descendants. Presque tous. Car Clément renia cet héritage. Il avait toujours refusé de « se faire garrotter, disait-il, par les liens du bénévolat ».

Clément finit par exécrer cet excès de bienfaisance dont jouissaient les bénévoles. « Les gens atteints de philanthropie aiguë devraient être enfermés ! » marmonna-t-il en serrant vigoureusement les poings.
Il se dirigea vers le mur du salon. La collection d’articles de presse qui tapissait celui-ci présentait les photographies des bonnes âmes locales. Son regard s’attarda sur l’une d’entre elles. Il s’agissait de l’un des représentants du collectif des présidents en colère. L’article annonçait une manifestation. Pour le lendemain.

Clément prévit de s’y rendre. Un sourire prémonitoire traversa son visage.
« Ce commissaire NIKS n’a pas tort, songea-t-il, la police ne peut garantir la sécurité de tous les bénévoles ».

FIN

Bernard B

Cette nouvelle est la douzième d’une série de treize, écrites en 2012. Un bel et unique objet-livre, rassemblant ces nouvelles, a vu le jour.  Son titre : « Voyages intérieurs ».  Maquette, façonnage et impression ont été achevés en décembre 2013 par Martin Barraud.

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